Champagne (1928) d’Hitchcock : une comédie muette sans pétillant
Avec À l’américaine (Champagne), Alfred Hitchcock livre en 1928 une comédie mondaine légère, aussi pétillante que superficielle. Le film, pensé pour séduire un public friand de glamour et d’errance sentimentale, s’écarte du terrain de prédilection du cinéaste. Il en résulte une œuvre élégante sur la forme, mais creuse dans son propos, que même Hitchcock reniera plus tard comme l’un de ses travaux les moins aboutis.
Une héritière déchue… mais pour de faux
L’histoire suit Betty, une jeune américaine richissime, capricieuse et sûre d’elle. Quand son père la prive (faussement) de sa fortune pour lui donner une leçon de vie, elle découvre — brièvement — les aléas de la condition ordinaire : hôtels miteux, mal de mer, petits boulots humiliants. À la fin, le père révèle la supercherie : tout n’était qu’un test. Betty, censée en sortir grandie, retourne à son confort initial.
Le récit, construit comme une fable moralisante à rebours, ne tient pas ses promesses dramatiques. Il évacue rapidement toute réelle transformation du personnage au profit d’une conclusion douceâtre et artificielle.
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Une actrice solaire dans un décor en carton
Betty Balfour, star du muet britannique, incarne le rôle-titre avec un éclat sincère, parfois même touchant. Elle illumine l’écran dans les premières séquences, pleines de vie et de malice. Mais le film ne lui donne aucune réelle trajectoire émotionnelle. Son personnage papillonne entre crises de rire et désarroi forcé, sans jamais franchir le seuil de la maturité.
Les personnages masculins, notamment son prétendant joué par Jean Bradin, n’existent que comme silhouettes décoratives. Leur fonction est utilitaire, et aucune dynamique ne se construit vraiment entre eux et l’héroïne. Le père, figure invisible ou autoritaire, reste une caricature du patriarche manipulateur, jamais remis en question.
Une mise en scène brillante par endroits, mais sans direction
Hitchcock injecte par moments des touches de style. L’ouverture à travers une flûte de champagne, le jeu de surimpressions pour exprimer le mal de mer, ou encore la construction de certains plans dans les scènes de nuit témoignent d’une recherche formelle authentique. Il s’amuse, tente des choses.
Mais ces éclairs sont isolés. Le film manque d’architecture narrative. Les scènes s’enchaînent sans vraie tension, sans montée dramatique. Le cinéaste, contraint par le scénario et par les attentes commerciales du studio, semble s’ennuyer en filmant. Et cette lassitude est perceptible dans le résultat.
Une œuvre aux limites nettes
Champagne peine à convaincre, notamment à cause de son manque flagrant de rythme. Les gags, trop légers, s’essoufflent rapidement, et le récit semble ne jamais véritablement démarrer. On reste dans une attente constante d’un rebond qui ne viendra pas.
À cela s’ajoute un propos moral convenu, sans relief ni profondeur : la leçon infligée à Betty se veut édifiante, mais reste à la surface des choses, teintée d’un paternalisme un peu usé. Enfin, la structure narrative tourne à vide.
Le parcours du personnage principal n’engendre aucun bouleversement véritable. Son évolution est purement cosmétique : aucune conséquence durable, aucun prix à payer, aucune transformation réelle. Le film boucle sur lui-même, laissant une impression d’inachevé, presque de vacuité.
Le cinéaste applique son savoir-faire, mais ne cherche jamais à transcender le matériau. Ce n’est pas un film investi, c’est un film exécuté.
En sortant de la salle
On ressort de À l’américaine avec l’impression d’avoir regardé un exercice de style élégant mais sans nerf. Le film a le goût d’un produit de luxe qui aurait été vidé de sa substance. Ce n’est pas une farce, ce n’est pas un drame : c’est un entre-deux qui amuse à peine et qui touche encore moins.
Il y a de la maîtrise technique, des idées de mise en scène, un vrai charme dans les premières séquences. Mais il n’y a aucun ancrage émotionnel, aucune sincérité dans le traitement du récit.
Conclusion
À l’américaine n’est pas un désastre. C’est une œuvre lisse, désengagée, qui reflète davantage les contraintes d’un studio que les ambitions d’un auteur. Hitchcock s’y essaie à la comédie mondaine sans y croire, et cela se voit. Ce film n’a ni tension, ni point de bascule. Il offre quelques éclairs de mise en scène, mais aucune profondeur dramatique.
Une curiosité pour complétiste, rien de plus. Le véritable Hitchcock n’y est pas encore. Il observe — à travers un verre de champagne — mais ne mord pas.